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Publié le 29 mars 2011 Mis à jour le 29 mars 2011

Jean-Paul Moiraud et les mondes virtuels (2/2)

"J'ai trouvé avec ce monde virtuel l'outil idéal pour mettre en contact les étudiants et les professionnels"

Première partie de l'entrevue : Les Tice pour prendre du recul par rapport à son projet professionnel.

Comment établir le lien entre les étudiants en design de mode et les professionnels en exercice? Avec Assemb’live, J.P. Moiraud a trouvé la solution.
Assemb’live est un espace virtuel de conférence qui est accessible depuis le navigateur Internet, après l’installation d’un petit plugin (Unity 3D)

Comment en êtes-vous arrivé à utiliser Assemb’live, et à quelles fins ?

J’ai commencé à uiliser Assemb’live voici un an environ. Mais il faut souligner qu’il y avait déjà plusieurs années que je m’intéressais aux mondes virtuels. Je m’étais familiarisé avec Second Life  et Open Sim. Je suivais de très près les expérimentations menées par des collègues, notamment certains enseignants de la Faculté de Droit Virtuelle de Lyon. Mais je ne trouvais pas entière satisfaction dans ces mondes-là.
J’avais mis sur le papier les caractéristiques d’un monde virtuel “parfait” pour ce que je comptais en faire. Et puis, Assemb’live est arrivé... avec la plupart des caractéristiques du produit que je cherchais. Concrètement :

  • Un espace qui permette une communication synchrone à distance;
  • Un espace immersif, qui facilite la concentration sur la tâche en cours et permette l’interaction entre les particpants;
  • Un outil intuitif, qui ne demande pas des heures de prise en main;
  • Un outil léger, ne réclamant pas des Mo d’espace disque et consommant peu de mémoire vive, qui puisse donc fonctionner sur un ordinateur “moyen”, pas seulement sur une bête de course;

Tout ça, pour quoi faire ? Pour organiser des rencontres entre les étudiants et les professionnels du design. Cela faisait des années que j’étais à la recherche d’un outil permettant d’établir une relation entre le monde de la formation et le monde professionnel. Je l’ai trouvé avec Assemb’live.

Mais vous pouviez inviter des designers dans vos cours, ou même organiser des rencontres via des outils très répandus tels que Skype...

Pour ce qui est d’inviter des professionnels dans les cours, cela relève de la mission impossible. D’une part, parce que l’horaire d’économie-gestion est très étroit, et que j’ai quand même beaucoup de choses à enseigner ! D’autre part et surtout, parce que les professionnels ne peuvent absolument pas se libérer en plein milieu de journée, parfois effectuer des trajets de plusieurs heures, pour s’entretenir une heure ou deux avec les étudiants. Et le tout, gratuitement, évidemment. L’utilisation d’Assemb’live m’a permis de franchir les barrières de l’espace et du temps : nous organisons les conférences le soir, le conférencier est chez lui et il interagit néanmoins avec les étudiants, qui sont aussi chez eux et dans l’espace de conférence en même temps.

On comprend bien l’intérêt de ces conférences virtuelles en soirée, mais, encore une fois, pourquoi Assemb’live plutôt que Skype ou n’importe quel autre dispositif de visioconférence ?

Vous semblez sous-entendre qu’il est plus difficile d’utiliser Assemb’live que Skype ou un dispositif de visioconférence. Ce n’est pas vrai pour les étudiants, qui abordent le monde virtuel très naturellement. Ceci, parce qu’ils ont tous joué aux Sims pendant des années !

Les conférenciers en revanche peuvent parfois se sentir un peu perdus devant un tel outil. Mais j’organise systématiquement avec eux une petite séance de prise en main, à distance, avant la conférence. Et le gros intérêt d’Assemb’live pour des débutants dans les mondes virtuels, c’est que c’est un produit entièrement dédié à la réunion. Il n’est pas nécessaire de savoir construire des décors ou de se déplacer dans des environnements complexes pour s’y sentir à l’aise. Assemb’live n’a rien de l’usine à gaz qu’est Second Life. Tout en étant très immersif, ce que ne sont pas les dispositifs habituels d’audio ou de visioconférence.

Pourquoi tenez-vous tant à cette immersion ?

Parce que cela favorise grandement la concentration et l’interaction des participants. Nous avons tous fait l’expérience de ces audioconférences où l’on écoute d’une oreille les participants, tout en surfant sur Internet ou en faisant tout autre chose. En visio, c’est l’inverse : on apparaît tel qu’on est réellement, avec son environnement réel. Ce qui n’est pas toujours à notre avantage ! Sans même parler de la bande passante nécessaire à la visioconférence, et de ses faibles performances dans les versions gratuites.

Dans l’univers virtuel, chaque participant est représenté par un avatar qui lui permet d’interagir avec les autres. Il faut faire vivre l’avatar, le faire bouger pour qu’il ne s’endorme pas (tout le monde verrait alors que vous n’êtes plus derrière votre poste...). Les possibilités de faire agir son avatar permettent d’imposer des règles de communication qui se rapprochent de la situation de classe ou de conférence réelles : se saluer au début et à la fin d’une rencontre; lever la main pour prendre la parole; montrer quelque chose ou quelqu’un; se déplacer au pupitre pour parler, etc. Etant actif, le participant est plus immergé dans la situation. De plus, il se trouve sous le regard des autres : le fait de pouvoir visualiser les autres participants est fondamental et renforce encore le sentiment d’être “dans” la situation.

Pour résumer votre propos, vous affirmez donc que l’immersion dans un univers virtuel renforce la concentration et le sentiment d’appartenance, et que cela limite aussi la propension au multitâche que nous avons tous lorsque nous assistons à une conférence derrière notre écran, lorsque nous sommes sûrs de ne pas être vus...

Oui, c’est tout à fait cela. Et le dépouillement d’Assemb’live par rapport à Second Life notamment installe la communication en cours dans le champ de la formation, plutôt que dans celui du jeu. Bien entendu, le système accepte un grand nombre de formats de fichiers en documents supports, qui sont visualisés sur l’écran de la salle de conférence. Le participant peut dimensionner la fenêtre du document, et c’est l’animateur de séance ou le conférencier, qui rythme le défilement des pages. Enfin, il y a la fenêtre de chat qui permet aux participants de noter les questions à poser au conférencier sans l’interrompre. Je les synthétise en fin de présentation et le conférencier y répond.

En plus de la salle de conférence, il y a des espaces de travail en petits groupes. On peut fermer ces espaces, ce qui fait que même s’il y a une dizaine de personnes dans la pièce virtuelle à un moment donné, on peut travailler à 3 ou 4 sans risquer d’être interrompus; les autres participants ne peuvent pas rentrer dans l’espace privé. Je n’ai pas encore exploité totalement cette possibilité, mais on peut imaginer une conférence en grand groupe et ensuite des debriefings par petits groupes, simplement en faisant changer de pièce les avatars et en les laissant s’attribuer des espaces privés de travail.

Le système est-il performant, au niveau technique ?

Oui, c’est l’un de ses principaux atouts. J’ai organisé des conférences avec 45 personnes, sans problème. Le plugin à télécharger Unity  est très léger et Assemb'live fonctionne sous tous les navigateurs. La communication en ligne est elle aussi économe. Certains de mes étudiants parviennent à se connecter en wifi, même avec un débit moyen. Ce qui me laisse penser qu’Assemb’live pourrait être un très bon outil pour la francophonie par exemple, car adapté aux capacités des bandes passantes dans la plupart des pays d’Afrique francophone.

Avez-vous constaté des limites, des défauts à cet outil ?

Ce ne sont pas des défauts propres à l’outil Assemb’live en tant que tel; il s’agit plutôt de précautions à prendre et de règles à instaurer pour utiliser au mieux un univers virtuel en situation de formation.

Au niveau des participants, j’impose des règles de communication qui sont plus strictes que celles de la vie courante. Il est par exemple interdit de se couper la parole, et tout nouvel arrivant est signalé, salué. Les participants doivent trouver le bon niveau de volume de leur micro, et parler “fort et clair”. Ils doivent être dans un lieu tranquille pour suivre la conférence car on entend très bien les bruits extérieurs (chien qui aboie, sonneries diverses...). Ils doivent fermer leur micro quand ils écoutent (sinon, il y a un souffle terrible) et lever la main pour parler, avant d’ouvrir leur micro. C’est une discipline à adopter.

J’ai également donné des indications précises quant à la création de son avatar, dans un souci de réalisme : par exemple, chaque avatar doit porter le nom de la personne qu’il représente; un homme doit avoir un avatar homme, même chose pour une femme.

Mais les principales limites sont celles de tout univers virtuel. Par exemple, on se sent terriblement seul lorsqu’on parle dans un tel univers, car on ne peut pas se raccrocher aux signes non-verbaux qui montrent qu’il y a effectivement communication. Le silence doit être interprété comme une manifestation d’intérêt et non pas, comme dans la vie réelle, de désintérêt.
J’attends beaucoup des recherches en cours qui visent à mieux connecter les univers virtuels à la réalité du ressenti des participants. J’ai vu récemment au salon Innorobot de Lyon la solution de myfivefive qui permet, par boitier tactile interposé, de formaliser des sentiments (voir mon billet à ce sujet).

Vous avez beaucoup publié sur cet utilisation d’Assemb’live en formation, comme en témoignent les nombreux articles et documents présents sur votre blog et les retransmissions en vidéo de certaines de vos allocutions (exemple : entretiens du Centre de Droit et de Nouvelles Technologies avec Gérald Delabre, Directeur adjoint de la Faculté de Droit Virtuelle de Lyon 3 Jean Moulin ). Cela a t-il encouragé certains de vos collègues à suivre votre exemple ?

Il est vrai que je suis très souvent invité à parler de mon utilisation d’Assemb’live dans des colloques et des formations. Je travaille sur les mondes virtuels et je suis accaparé par le monde réel pour en parler, ce qui n’est pas le moindre paradoxe de ma situation. Mais cela a effectivement donné des idées à certains. Gérald Delabre, à la FDV, a organisé selon le même principe que moi des conférences avec des professionnels du Droit pour ses étudiants de l’école de droit de Lyon (étudiant de niveau master 1 et 2 préparant les concours et examens d'accès aux différentes professions juridiques), en soirée ; à l’Ecole Supérieure de l'Education Nationale, des conférences ont été organisées avec le personnel de l’Education Nationale résidant en Outre-Mer; dans l’Académie de Nice, des enseignants ont organisé sur Assemb’Live les réunions préparatoires au CAVIL (Conseil Académique de la Vie Lycéenne). Ce ne sont que quelques exemples.

Si vous ne deviez donner qu’un seul conseil aux enseignants qui seraient tentés d’utiliser Assemb’live en situation de formation, quel serait-il ?

Celui-ci, sans aucune hésitation : Mettez d’abord au clair votre intention pédagogique, les buts que vous poursuivez auprès de quel public, les contraintes que vous affrontez, et ensuite seulement voyez si Assemb’live ou tout autre outil vous permet de réaliser votre projet. L’outil en lui-même n’est rien, ni bon ni mauvais. Il ne vaut que pour ce que vous en faites, ce pour quoi vous l’utilisez. En enseignement, que l’on utilise les Tice ou pas, c’est toujours l’intention pédagogique qui prédomine et qui détermine le choix des méthodes et des outils.

Pour aller plus loin :

Le bilan des mondes virtuels 2010, par J.P.Moiraud

Tous les billets du blog de recherche de J.P. Moiraud sur le sujet des mondes virtuels

L’insertion d’un monde virtuel dans un processus d’apprentissage (diaporama), Intervention à l’AEC de Liège, 12 mai 2010

Les vidéos d'Assemb'live ont été réalisées par Jean-Paul Moiraud.


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